Extraits de L’Art du zazen de Pierre Dôkan Crépon (Éditions Sully)
S’asseoir est naturel
Lorsque nous nous asseyons, nous pratiquons quelque chose de naturel. Pour un être humain, il est naturel de bouger, de rire, d’aimer, et il est également naturel de s’asseoir et de se recueillir. Le moment où l’on s’assoit et où l’on se recueille n’est pas celui où l’on bouge, où l’on rit, où l’on aime, mais il n’est pas non plus en opposition avec ces activités.
S’asseoir sans bouger, tranquilliser notre corps et notre esprit, approfondir notre respiration, correspond à une partie de nous-mêmes pour laquelle il est nécessaire de s’asseoir et de se recueillir. La pratique du bouddhisme commence en donnant la possibilité à cette part de nous-mêmes de se réaliser.
Lorsqu’on a la chance de pouvoir s’asseoir, que l’on saisit cette chance, que l’on continue, alors nous approfondissons ce moment de recueillement et nous découvrons une nouvelle dimension de notre vie. C’est comme si une porte s’ouvrait sur un espace vivifiant, un espace frais et calme, plein de vitalité. Une fois que cet espace est solidement ancré en nous, cela est semblable, dit maître Dôgen, au tigre qui retourne dans sa forêt profonde ou au dragon qui retrouve son lac, au sein des montagnes.
Cultiver ce recueillement en s’asseyant est fondamental pour notre vie. Ce qui est fondamental c’est comme les fondations, c’est ce qui est fondateur. Prenez le temps de vous asseoir et de vous recueillir.
Nous sommes fondamentalement libres
L’enseignement du Bouddha et des patriarches est que les êtres humains sont fondamentalement libres. C’est nous-mêmes qui sécrétons nos entraves par notre attachement aux objets et nos milliers d’opinions sur toutes choses. Les mécanismes qui conduisent à l’attachement ont été décrits par le Bouddha. Les phénomènes extérieurs, les organes de perception qui les perçoivent, les sensations puis la volonté d’appropriation qui en découlent, tout cela fait que nous sommes entravés par les milliers de phénomènes que nous rencontrons.
Maître Yakujo dit : « Si vous réalisez que la conscience et l’objet n’ont fondamentalement aucun contact, vous serez libres en ce monde. »
C’est une liberté totalement différente de celle qui consisterait à pouvoir s’approprier tout ce que l’on désire. C’est la liberté qui consiste à réaliser qu’il n’y a aucune appropriation qui soit nécessaire. Pratiquer la Voie ne consiste pas à cesser de rencontrer les phénomènes mais à les rencontrer sans que notre esprit en soit détérioré.
Ici, pendant le zazen, nous entendons parfois le bruit du train qui passe. Malgré cela notre esprit n’en est pas détérioré. Si, par exemple, nous devons prendre le train à la gare et qu’en arrivant nous entendons le bruit de la locomotive se mettre en marche, beaucoup de choses affluent dans notre esprit. Pendant zazen, le bruit apparaît puis disparaît sans que cela implique des opinions et des jugements.
On pourrait croire qu’une telle attitude se traduit par de la froideur. Mais cela n’est pas le cas. En réalité, il y a de la chaleur dans la pratique ; nous ressentons une grande empathie pour toutes les existences mais sans que cela s’accompagne d’attachement ou que les opinions s’emparent de notre esprit. Naturellement, nous sécrétons alors moins d’entrave et pouvons approfondir le fait que nous sommes fondamentalement libres.
Se laisser transformer par la Voie
« Si l’on pratique la Voie avec un cœur sincère et en se laissant transformer, on obtiendra la Voie. » C’est une parole de maître Dôgen.
Pour commencer, il est nécessaire de pratiquer la Voie. Si on ne fait que parler de celle-ci, de lire à son sujet, d’y penser, de l’imaginer, on reste complètement à l’extérieur. Pourtant, à chaque instant, la Voie est partout. Mais sans pratique c’est comme si elle n’existait pas. Pratiquer, c’est recueillir son corps, son cœur, son esprit, c’est s’asseoir en silence, réciter les sutras, offrir de l’encens, côtoyer la pratique des autres, abandonner ses opinions compliquées, venir au temple, arranger sa vie pour créer la possibilité de tout cela.
Cette pratique se réalise avec un cœur et un esprit sincères. Si notre esprit est tordu, si nous avons le réflexe du voleur, que nous voulons prendre quelque chose, que nous sommes guidés par la mesquinerie ou la malice, ce n’est pas la Voie. Il faut laisser apparaître notre cœur sincère, le laisser s’éveiller et nous conduire dans la bonne direction.
Dôgen ajoute « en se laissant transformer ». Toute chose se transforme sans cesse : les phénomènes extérieurs, nos cellules, nos pensées, nos sentiments. On aime, et après on n’aime plus, tout en perpétuant l’illusion que notre « moi » est quelque chose de stable. Se laisser transformer par la Voie, c’est en premier lieu lâcher notre croyance en un moi stable, laisser de côté ce qui nous met en opposition avec cette transformation perpétuelle. Se laisser transformer c’est accepter la pratique, c’est accepter que toute chose soit la Voie.
Marcher dans la rosée
Pratiquer zazen est difficile. Pratiquer un moment, pratiquer une sesshin, et surtout continuer la pratique est difficile. Les difficultés varient. Par exemple, lorsque l’on est débutant, le corps n’est pas habitué à la posture et cela engendre des douleurs et des difficultés. Puis le corps devient plus souple, plus à l’aise, mais c’est alors que l’on vieillit et d’autres difficultés surgissent d’un corps fatigué ou malade. En fait, il faut reconnaître que la pratique de Bouddha est difficile, que la difficulté fait partie de la pratique.
C’est pourquoi pratiquer seul n’est pas possible. Une pratique égoïste, tournée seulement vers soi-même ne peut continuer dans cette difficulté ou alors elle va en s’asséchant, en se ratatinant. Aussi importe-t-il de ne pas s’enfermer et de pratiquer de façon ouverte. Une expression dit qu’il faut « pratiquer avec Bouddha », ou « pratiquer avec tous les bouddhas, avec toutes les existences », en s’appuyant sur eux, en nous imprégnant de leur présence. Bien sûr, selon les circonstances, on peut pratiquer seul dans une pièce ou sous un arbre tout en étant ouvert aux multiples existences. D’un autre côté, si l’on s’assied en pensant « je suis avec tous les êtres », cela est un peu spécial.
En fait, quand on répète la pratique de zazen avec les autres, lorsque l’on fréquente l’enseignement de Bouddha, que l’on rencontre régulièrement des amis de bien, c’est comme marcher dans la rosée du matin. Peu à peu on devient humide. Si on ne marche pas souvent dans cette rosée, ou si on y marche sur la pointe des pieds, comme pour essayer de l’éviter, cette humidité ne nous imprégnera pas. Pour ne pas nous assécher, nous ratatiner, il importe de rechercher cette humidité et de ne pas y faire obstacle. Imprégnés de cette rosée, nous pouvons traverser les aspects arides des difficultés de la pratique.
Continuer la pratique du Bouddha
Lorsque nous nous asseyons en zazen, nous nous asseyons comme Bouddha. Ainsi qu’il a pratiqué, nous croisons les jambes, nous mettons la main gauche dans la main droite avec les pouces qui se touchent, nous gardons le dos droit, fermons la bouche, et conservons les yeux mi-clos. En laissant notre respiration libre d’aller et venir et en ne pensant à rien de particulier, nous continuons cette pratique du Bouddha.
Quelqu’un a dit : « Si Shakyamuni ne s’était pas éveillé sous l’arbre de la Bodhi et s’il n’avait pas fait tourner la Roue de la Loi dans le parc des Gazelles près de Bénarès, alors il manquerait quelque chose dans notre monde. Mais le sage des Shâkya s’est éveillé sous l’arbre de la Bodhi et il a fait tourner la Roue de la Loi au parc des Gazelles ».
Ce n’est pas pour nous que nous pratiquons zazen, ce n’est pas pour les autres non plus, ce n’est pas par devoir, ce n’est pas sur ordre. Simplement nous continuons la pratique et l’enseignement du Bouddha, ainsi participons-nous à ce qu’il ne manque pas quelque chose dans le monde.
Même quand les tempêtes se lèvent, soulevant les vagues et faisant mugir le vent, l’assise de Bouddha reste immobile, parfaite. Aussi le Shin Jin Mei dit : « La Voie de Bouddha est ronde, en paix, large comme le vaste cosmos, parfaite, sans la moindre notion de demeurer ou de rompre. »